« Se bouffer le nez », oui mais ensemble…


Chaque samedi, Les Buvologues vous proposent de découvrir les origines d’expressions du langage courant qui nous viennent de la cuisine. Et cela ne manque pas de sel…

une histoire de film

En 1973, la Croisette a la « gerbe » : les spectateurs viennent de subir La Grande Bouffe de Marco Ferreri. Écœurante satire de la société de consommation fort démonstrative, ce film met en scène un genre de suicide « à l’indigestion » ! D’où le titre, qui ne rend pas hommage à la finesse des plats présentés, tous issus des cuisines huppées du traiteur Fauchon.

La Grande Bouffe a pourtant une autre vertu que celle de couper l’appétit : elle a contribué à mettre ce mot aux accents vulgaires, surgi du vocable étudiant, dans toutes les bouches. « Malbouffe », « bonne bouffe » ou « qu’est-ce qu’on bouffe ce soir ? », il s’emploie désormais à toutes les sauces ! Verbe générique du registre familier quand il s’agit de casser la croûte ou d’avoir les crocs, bouffer est présent dans de nombreuses locutions. En langue verte, on parle de « bouffer des briques » quand il n’y a rien à manger : chose étrange, car on peut imaginer qu’une brique va peser sur l’estomac.

le poids des mets

En réalité, les briques désignent des miettes dès le XVI ème siècle. Au moment de la dernière heure, on parle d’un macchabée comme étant en train de bouffer les pissenlits par la racine, une formule au sinistre fort bucolique. Quand il y a embrouille, on est prêt à se bouffer le nez, un morceau pourtant plein de crottes de nez !

Si bouffe paraît jeune, car on date son apparition dans les années 1920, il est en fait plus vieux qu’un bout de parmesan âgé. Au xiie siècle, bouffer signifiait « souffler en gonflant les joues » : on retrouve cet étymon aux airs d’onomatopée dans le mot bouffarde, « la pipe ». Au XVI ème siècle, bouffe aurait pris le sens de « manger gloutonnement » bien qu’on le trouve très peu à l’écrit.

1823

Curieux de l’origine mystérieuse de la bouffe, Claude Duneton l’a relevé dans Les Veillées de la Chaumière de Madame de Genlis, paru en 1823 ! On y trouve un dialogue pas piqué des vers entre un paysan champenois et le seigneur local, l’agricole disant : « Je ne suis pas ivrogne de mon naturel, et je n’aime ni la boisson ni la bouffe. » Apparu de façon nébuleuse, peut-être favorisé par le melting- pot social de la Grande Guerre, le mot bouffe est devenu un des mots les plus usités du XXème siècle finissant.

Extrait de
« 150 Drôles d’expressions de la cuisine qui ne manquent pas de sel »
avec l’amicale autorisation de l’auteure Marcelle RATAFIA

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Editions
317 pages, 12,90€

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