« tenir la dragée haute »; sans risquer l’amende…


Chaque samedi, Les Buvologues vous proposent de découvrir les origines d’expressions du langage courant qui nous viennent de la cuisine. Et cela ne manque pas de sel…

au bonheur du sucre

« On est persuadé que vous lui tenez la dragée haute pour le mener devant monsieur le maire », dit-on à l’héroïne d’Au Bonheur des Dames de Zola, soupçonnée de vouloir hâter le moment d’offrir des dragées à son entourage après la noce.
Tenir la dragée haute, c’est dominer une personne, le traiter comme quantité négligeable. On retrouve des traces de cette formule au XVIII ème siècle : à l’époque, cela signifie « faire poireauter pendant longtemps », « n’accorder des faveurs qu’avec parcimonie ». Il est probable qu’à l’origine, l’expression fasse référence à un jeu d’enfant qui consistait à attraper une friandise suspendue à un fil, tenue par une grande personne capable de s’amuser à mettre le susucre hors de portée du petit – un peu comme quand on fait bicher un chien avec un os.

sucre conservateur

Belle hellène, la dragée est d’origine grecque, formée sur tragemata, la « friandise », elle désigne un mets servi à la fin du repas, en guise de dessert. « Issue de table » prisée des riches tablées, la dragée est une mignardise de luxe. Comme son nom ne l’indique pas, elle est native de Verdun où elle est inventée vers 1220 pour des raisons de conservation : les amandes importées ayant tendance à moisir, on les enrobait de miel pour les conserver.

Peu à peu, la recette devint encore plus chère, intégrant le coûteux et exotique sucre de canne. Habitude pas franchement saine contractée par les Médicis, la dragée fait fureur à la cour de Louis XIV ; elle fait partie des « épices de chambre » et abonde dans des drageoirs d’or et d’argent.

friandise plombée

Il faut imaginer que cette histoire est bien antérieure à l’invention des crottes en chocolat : les dragées font un carton dans les cours d’Europe et de Russie! Depuis, on l’associe aux célébrations des mariages et des naissances, innocentes friandises pastel prises dans une mousseline un peu cucul la praline – sorte de dragée autrement plus gnangnan.

Depuis le XVI ème siècle, on relève l’emploi de dragée dans un sens bien plus guerrier. « Petit plomb de chasse » chez Rabelais. En langage troupier, la dragée, c’est de… la balle. Et on ne peut pas dire qu’elles servent à fêter un baptême, à moins qu’il ne s’agisse d’un baptême du feu !

Extrait de
« 150 Drôles d’expressions de la cuisine qui ne manquent pas de sel »
avec l’amicale autorisation de l’auteure Marcelle RATAFIA

. . . . . . . .

Editions
317 pages, 12,90€

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