Vente des Vins des Hospices de Beaune 2020 : 160ème édition


Dimanche 13 décembre, ambiance dans Les Halles de Beaune lors de la vente des Hospices de Beaune 2020. Crédit JC. Tardivon©

Afin de vous faire vivre la plus importante et plus ancienne vente de charité au monde Les Buvologues vous racontent à la première personne le récit d’une après-midi pas comme les autres.

Eloge du vide

13H30.
Pour qui a déjà vécu le dimanche de la vente des vins de Beaune, l’arrivée en ville se fait en slalomant entre les milliers de badauds de toutes nationalités qui traversent quasiment sous vos roues. En arrivant à l’heure où la fête bat normalement son plein mes yeux cherchent du regard des êtres humains.
Le stationnement qui est habituellement un combat n’a pas lieu, faute… de combattant. On compte les voitures sur la place Madeleine, le plus grand parking de la ville. Même au mois de janvier le parking est plus rempli. Alors quitte à devoir choisir une place, autant se rapprocher des Hospices. Et me voilà garé à dix mètres des halles! A pied, on entend le pépiement des oiseaux qui doivent se demander où sont les humains. A cette époque les moineaux sont grassement nourris par les miettes de sandwichs et les frites tombées des barquettes. Les odeurs des marrons chauds et de la patte à churros tombant dans l’huile frémissante me manqueraient presque. Les rues ne sont habitées que par les agents de sécurité qui contrôlent les sacs et le port du masque. Sauf qu’il n’y a pas de public.
Forcément.
Sans les caméras de France 3 qui retransmettent la vente des vins en direct sur l’écran géant situé à coté des halles, pas d’attroupement de masse.

Dernier contrôle: 35,9° C au front. Je passe en me disant que l’ambiance sera plus chaude à l’intérieur. En arrivant dans l’aquarium* je jette un coup d’œil aux halles qui se remplissent des acheteurs potentiels. Là encore, le public est clairsemé. Distanciation sociale oblige, une chaise sur deux est vide, parfois c’est un personne seule sur toute une rangée de six places. Les allées ont été agrandies. Là ou on se bousculait dès qu’on circulait, on pourrait rouler à vélo les bras ouverts. En salle de presse seulement une douzaine de journalistes masqués travaillent dans un silence à peine troublé par les rares vibrations des portables. En temps normal c’est une ruche de 80 médias pour une cinquante mètres carrés. Une chaleur et un bruit qui rendent le travail difficile. Pas aujourd’hui.
C’est déjà ça de gagné.

La 160ème vente de vins des Hospices de Beaune est lancée

14H
François Poher, directeur des Hospices, prend la suite du maire de Beaune. Avec son discours empreint de solennité il parle de la vie du personnel hospitaliers, de la centaine de salariés infectés par le virus et de l’une d’elle, Marie-Cécile, qui ne verra pas Noël. L’ambiance s’alourdit. le visage de Marc Lavoine, le président de la vente, se fige. Mais il redonne le sourire en annonçant la naissance cette année de 600 bébés à la maternité des Hospices. A l’hôpital la mort côtoie la vie.
La régisseur Ludivine Griveau prend la micro « J’ai eu plus de bébés que vous cette année. Ce sont mes 630 tonneaux ». Elle dresse un bilan positif de son sixième millésime malgré les contraintes qui se sont ajoutées au travail de l’année.


Lire aussi : Rencontre avec Ludivine Griveau, régisseur des Hospices de Beaune.


14H20
A circonstances extraordinaires, organisation extraordinaire.
Pour Christie’s, en charge de la vente depuis le millésime 2005, le spectacle doit continuer. C’est la présidente de Christie’s en personne, Cécile Verdier, qui débute les enchères. Le marteau du commissaire-priseur claque plusieurs fois sèchement mais sans enfoncer de clou. 85 paddles d’acheteurs contre 306 l’an dernier pour seulement 170 personnes dans la salle, les acheteurs répondent mollement. Les premiers prix semblent stables par rapport à l’an passé.
« Avec votre masque je ne vous entends pas » dit la commissaire-priseur. C’est vrai que pour parler à un mètre ça va mais à vingt mètres et sans micro c’est plus compliqué. « Encore deux lots et je vous propose de passer à la pièce des Présidents ».
La salle répond comme un seul homme.

Une vente record

Marc Lavoine, le président du jour, soutient la cause de la fédération hospitalière de France qui sera bénéficiaire de la vente de la pièce de charité. Car pour la première fois de l’histoire des Hospices le président n’est pas dans la salle. Il intervient en direct mais sur un écran. Le chanteur complimente les acteurs de la vente et associe ses amis acteurs Patrick Timsit et Fed Testot dont on passe un enregistrement vidéo. Patrick Timsit rappelle qu’il est chevalier du tastevin et que « les vignerons sont généreux, la preuve, c’est dans la barrique! » Puis c’est autour de son compère de tournage* Fred Testot : « On veut se droguer à la vie, on veut boire des coups… On boit un coup pour faire du bien autour de nous! » scande le corse avec force geste et sourire. De bonnes vibrations montent de la salle.
On débute d’entrée avec une offre à 228 000€ ! Le ton est donné. C’est énorme mais encore moins que ce qui se profile dans l’air. Très vite 300 000, 400 000, 480 000…
Les acheteurs semblent faire une pause, peut-être se remémorent-ils le dernier record. Deux jours après les attentats du 13 novembre 2015, un acheteur qui souhaitait rester anonyme offrait 480 000€ pour la pièce de charité…
Puis Mounir Saouma de la maison beaunoise Lucien Lemoine lâche le chiffre incroyable de 500 000€. La salle libère un « ah! » unanime, les applaudissement pleuvent. Albert Bichot de la maison éponyme relance avec son « adversaire » de ces dernières années Alaor Lino, l’associé brésilien de la société Anima Vinum de Meursault. Un acheteur asiatique au téléphone se mêle de la discussion.
Ce sera une finale à trois. « Ce serait bien de monter à 600 000€… » lance un Marc Lavoine qui se tient le menton pour ne pas qu’il ne tombe. Et on passe à 600 000€. Les belligérants montent par tranche de 10 000€ comme s’il s’agissait de pois chiches. On bloque à 660 000€. Le chanteur de « Bascule avec moi » est bloqué. Marc Lavoine est en mode « penseur de Rodin ». Albéric Bichot et son acheteur chinois emportent l’enchère. Et comme un bonus est toujours le bienvenue. Un acheteur anonyme ajoute un don de 100 000€ et un Alaor Lino qui n’empoche finalement pas la partie, termine en beauté en ajoutant 20 000€.
La salle applaudit à tout rompre mais aucun son ne vient de l’extérieur. Pas d’écran, pas d’applaudissements.
La tradition veut que l’acquéreur vienne dire un mot au perchoir. Le négociant beaunois, premier acheteur des hospices depuis 2005, fait part de son sentiment au nom de son acheteur. Je le sens plus ému qu’heureux. Un humain avant tout.

Une année en vin

16H20
Habituellement la salle se vide de moitié après la vente de la pièce des présidents. Cette année personne ne bouge. Ceux qui sont venus là ne viennent pas faire de la figuration. Le commissaire-priseur Lionel Gosset a remplacé sa présidente. C’est un habitué des lieux. Presque une figure locale. Il s’échauffe. Quelques centaines de milliers d’euros plus tard il se lance sur un lot de quatre pièces de grand cru Bâtard-Montrachet. Les deux premiers lots partent au-dessus de l’estimation haute de 140 000€ la pièce. Le record est même dépassé et atteint 160 500€ : la pièce la plus chère du jour après celle des présidents. Mais alors qu’un autre acheteur s’apprêtait a renchérir il adjuge la troisième à 100 000€. Aïe! le commissaire-priseur vedette aurait préféré se mettre un coup de marteau sur les doigts. Un coup à 60 000€…
Sa première erreur dans un tableau sans tâche. Camille de Foresta entre en scène après qu’une annonce demande aux personnes présentes de changer de masque. Il est vrai qu’on arrive aux quatre heures de présence sans bouger et à 18H01 le virus attaque!

18H15
Avec son timbre de voix pointu, la jeune commissaire-priseur à la veste dorée bouscule la salle par son phrasé tonique qui fait penser aux camelots des marchés ou à une poissonnière dans une criée… mais en tenue de soirée. Et cela fonctionne! Elle réveille la salle par son phrasé clair et sa répartie chantante. J’adore. La salle lui répond bien. Les cours continuent leur stabilité avec quelques baisses suivant les cuvées. Lionel Gosset revient prendre le marteau avec l’aplomb d’un matador. La salle est calme. les crieurs ne font pas de gestes de sémaphores. Il n’ouvrent même plus la bouche. Ils ont juste à designer les enchérisseurs qui sont moins d’une quarantaine.

19H19
Camille de Foresta revient terminer les huit derniers lots. La salle répond toujours bien. Comme chaque année Frédéric Drouhin achète quasiment tous les Beaune 1er cru de la cuvée Maurice Drouhin, les vignes que son père avait léguées aux Hospices de Beaune qui l’avaient protégé lors de la seconde guerre mondiale. Une preuve de fidélité à l’esprit des Hospices autant qu’un soutien indéfectible à l’hôpital local.


Lire aussi : Les chiffres de la vente des vins des Hospices de Beaune


20H16
Les chiffres de la vente (même si à cette heure ils ne sont pas encore connus) sont comme un cadeau à quelques jours de Noël pour tout le personnel hospitalier.
Cette année, si la fête n’était pas de la partie, l’esprit des Hospices était, lui, bien présent. Ainsi à Beaune, chaque année, « Le vin vient en soutien aux malades. » En espérant que l’an prochain les malades seront moins nombreux et que la ville fera plus de bruit que les oiseaux.

* nom que j’ai attribué à la salle de presse qui avec ses larges vitres permet de voir la salle d’en haut et réciproquement.

* Patrick Timsit et Fred Testot viennent de tourner ensemble un film en Bourgogne. Les Buvologues vous proposeront leur interview exclusive prochainement.

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1 commentaire

  1. Voila un article tres complet qui permet de ressentir l’esprit des hospices.
    C’est là que l’on voit que le travail de la vigne est enraciné en Bourgogne dans des notions de partage et prend encore plus de sens en ces temps perturbés !

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