« Vouloir manger tout cru » en mode carpaccio !


Chaque samedi, Les Buvologues vous proposent de découvrir les origines d’expressions du langage courant qui nous viennent de la cuisine. Et cela ne manque pas de sel…

la civilisation du « cuit »

Symbole pour les viandards d’un morne régime, l’assiette de crudités nous rappelle que tout ce que nous mangeons n’est pas cuit. Et pour cause : avant l’invention du feu de bois, l’être humain s’est nourri de racines dures à digérer et de chairs sanguinolentes. Comme des bêtes !
Il en résulte un tabou qui a longtemps pesé dans la façon qu’ont eue la majorité des peuples de s’alimenter. La réconfortante bouillie, emblème d’une civilisation du « cuit », s’oppose à la sauvagerie des aliments crus qui n’ont pas été transformés. À ce titre, l’étymologie du mot cru est intéressante : il est issu du latin crudus, qui à l’origine désigne quelque chose de « saignant, non travaillé », et s’applique d’abord à une peau destinée à être tannée.

cuisson moyenne

Au Moyen Âge, la nourriture est perçue comme un moyen d’équilibrer ses humeurs ; la question de la cuisson – ou non – est prépondérante dans cette perception. Les aliments chauds et humides sont privilégiés, tandis que l’on conseille aux fiévreux d’absorber concombres, melons et salades à titre exceptionnel, afin de faire baisser la température. Mais gare aux dangers du manger cru ou froid, qui passe pour causer l’indigestion ; la légende raconte que Paul II mourut en 1471 d’une overdose de melons crus.

parole crue

Dans la langue, la crudité est associée au naturalisme : avaler tout cru, c’est montrer un appétit d’ogre ; parler crûment, c’est dire la vérité sans fard, non sans une grossièreté frisant l’indécence. Monter à cru, c’est chevaucher sans selle, tel le Hun qui parcourt la steppe avec un bout de bidoche sous le fondement. Et vouloir manger quelqu’un tout cru équivaut à n’en faire qu’une bouchée : une pulsion cannibale !

Depuis longtemps, le cru, c’est sa propre terre, son patelin ; datant du XVIème siècle, la formule un mensonge/ une vérité de son cru rend hommage à ce caractère très intime. Bon vieux terme de la vigne, le cru n’a rien de commun avec son homonyme pas cuit ! Il est issu de crû, participe passé de croître. C’est ainsi que dans les campagnes, on parlait en secret il n’y a pas si longtemps des mystérieux « bouilleurs de crus », ces alchimistes des vergers qui transforment des fruits compotés en une gnôle bien corsée.

Extrait de
« 150 Drôles d’expressions de la cuisine qui ne manquent pas de sel »
avec l’amicale autorisation de l’auteure Marcelle RATAFIA

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Editions
317 pages, 12,90€

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