« Faire bonne chère » : jusqu’à l’os?


Chaque samedi, Les Buvologues vous proposent de découvrir les origines d’expressions du langage courant qui nous viennent de la cuisine. Et cela ne manque pas de sel…

ma chère chère

Pas tristounette pour un sou, la chère est le plus souvent flanquée de bonne. « Faire bonne chère », voilà une formule propre à réjouir les ennemis de l’orthorexie et du régime sec ! La France se targue d’être la patrie de « la bonne chère », une formule soutenue qui évoque vaguement un passé historique de festins ripailleurs, qu’on retrouve dans cette réplique bien connue : « Où sont les poulardes ? […] Où sont les veaux, les rôtis, les saucisses ? […] Y’a pas quelques soissons avec de la bonne soivre, un porcelet, une chèvre rôtie, quelques cygnes blancs bien poivrés ? Ces amuse-bouche m’ont mis en appétit », réclame un seigneur de Montmirail affamé dans le film Les Visiteurs.

Chère n’est pas chaire

Trop souvent victime de méprise, chère n’est point chairechérot ni chair, au grand dam de Mallarmé pour qui « la chair est triste, hélas ! Et j’ai lu tous les livres ». Si l’amateur de bonne chère n’a pas lu tous les livres, il a en revanche soupé aux meilleures tables ! Mais d’où vient ce mot, aujourd’hui entièrement dévoué à la gourmandise et troublant homonyme ? Si la chère a pris le sens de nourriture, elle est issue de kara, le « visage » en grec ancien, orthographié cara ou chara en latin. Le verbe charaxo en est dérivé : il signifie « se griffer le visage » – la réaction instinctive d’un gourmand qui serait privé de dessert. Character désigne ainsi les entailles sur la peau, puis son sens évolue, pour désigner le geste de marquer bêtes et parchemins, et pour les lettres gravées dans le marbre. C’est dire si la chère a du caractère!

cher visage

« Faire bonne chère », c’est donc avoir l’air aimable, présenter un visage réjoui, et ne finit par désigner le fait de bien manger qu’au XVII ème siècle, un sens peut-être motivé par son homonyme chair associé à la viande.
À cette époque, selon le registre de civilité, « il ne faut rien à dire à table qui trouble la bonne chère ». Autrement dit, la pitance de haut goût se passe de commentaires peu amènes, et pendant fort longtemps il n’est pas bien vu de critiquer la cuisson d’une viande. Les temps changent : de nos jours, les Français sont connus dans le monde entier pour être le peuple le plus prompt à discourir sur la nourriture lorsqu’ils sont à table.

Extrait de
« 150 Drôles d’expressions de la cuisine qui ne manquent pas de sel »
avec l’amicale autorisation de l’auteure Marcelle RATAFIA

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Editions
317 pages, 12,90€

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