Numéroter ses abattis ou tu peux compter les jours qu’il te reste…


Chaque samedi, Les Buvologues vous proposent de découvrir les origines d’expressions du langage courant qui nous viennent de la cuisine. Et cela ne manque pas de sel…

Arbre sans branches

Dans le jargon forestier, faire un abattis signifie « déboiser ». Chez les bûcherons et les militaires, l’abattis, du latin abattas (« abattu »), désigne un amas de bois abattus ou de branchages. Dans le vocabulaire volailler, les abattis dénomment un autre type d’extrémités coupées : les abats de volaille. En langue verte, ces petits bouts qui dépassent appartiennent aux humains : ils désignent les bras et les jambes. Lorsque l’on nous conseille de façon menaçante de « numéroter nos abattis », c’est qu’il faut se préparer à une baston ou à un retour de bâton qui risque de nous priver du bon usage de nos membres. Cette expression apparue à la fin du xixe siècle joue sur un autre sens d’abattis : un synonyme argotique d’abattoir, soit un « massacre ».

Dans la truande

Un peu vieux jeu, l’expression survit chez les truands. Dans Moi, Dodo la Saumure, on peut lire : « Genova n’a plus qu’à numéroter ses abattis, j’vais lui coller un calibre dans le fion ».
À Limoges, au Moyen Âge, les bouchers de la ville avaient investi la rue de la Boucherie et ses alentours : ils fréquentaient sa chapelle, Notre-Dame-des-Petits-Ventres, surnommée la « chapelle des bouchers ». Elle comporte une statue pas banale : la Vierge au Rognon, une belle sainte mère de Dieu tenant dans ses bras un petit Jésus occupé à grignoter un abat. Cette sculpture rend hommage à une coutume locale généreuse : les bouchers offraient des rognons aux petits et aux jeunes mamans. Du fer, une belle affaire!

Hey Louis!

Mais les abats peuvent être funestes. Le 20 juin 1791, l’équipage d’un Louis XVI en fuite déguisé en valet est arrêté : le roi sera ramené à Paris où sa famille et lui-même seront guillotinés. Bien préparée, cette échappée aurait raté, d’après Camille Desmoulins, à cause d’une histoire d’abats. De passage à Sainte-Ménehould, le monarque gourmand comme un vieux chat aurait souhaité goûter la spécialité de la bourgade : les pieds de cochons « à la Sainte-Ménehould ». En réalité, le roi et sa famille ont pris du retard parce qu’ils n’ont pas pu changer de chevaux, mais cette réputation contribue à décrédibiliser le roi qui passe pour un goinfre et un idiot. Il n’aura plus qu’à… numéroter ses abattis.

Extrait de
« 150 Drôles d’expressions de la cuisine qui ne manquent pas de sel »
avec l’amicale autorisation de l’auteure Marcelle RATAFIA

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Editions
317 pages, 12,90€
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